“Place de la République” ou le théâtre en suspension de Clément Hervieu-Léger
Dans la plus petite salle du Lucernaire, le Paradis, une jeune femme attend assise sur un banc de la Place de la République. Un homme plus âgé survient et la prend en photo. Ces deux-là n’attendent pas Godot comme chez Beckett, mais leurs deux solitudes finissent pas s’accorder et tisser des liens en évoquant les souvenirs, les amitiés et les disparus. Entre Lagarce, Sarraute et Duras, Daniel San Pedro et Juliette Léger distillent avec bonheur une géographie du souvenir et de l’absence, orchestrée par Clément Hervieu-Léger.
Sur les traces d’Arthur Rimbaud
Comment deux êtres peuvent-ils entrer en contact ? La jeune femme blonde, les cheveux relevés souplement qui lui donnent une naïveté d’adolescente, sort une pomme de son sac à dos qu’elle croque avec nonchalance. Voilà justement l’instant que choisit d’immortaliser un homme, muni de son appareil photo Polaroïd, capturant en un instant le portrait de la jeune femme dans un éternel présent. La conversation s’engage, ainsi que son corollaire le plus séduisant, la complicité. L’homme évoque ses voyages, à la poursuite des mystérieuses traces d’Arthur Rimbaud, dont il égrène avec gourmandise les vers dans Ma Bohême. Mais qui est ce Tegento, ce Sud-Américain hors-normes, héroïque, qu’il est censé accompagner aujourd’hui à l’aéroport après l’avoir hébergé à Paris ? La jeune femme écoute cet homme dont les yeux s’illuminent à travers les récits, les aventures et les rencontres, hallucinants et ordinaires à la fois.
A la recherche d’une disparue
Dans la seconde partie, c’est au tour de la jeune femme de se raconter à travers la figure d’une absente, Anne, sa meilleure amie, la camarade de collège puis la compagne de toutes les manifs, de toutes les révoltes passées par la Place de la République. Qui est Anne ? Un double fraternel de la jeune femme ? Un fantasme, ou le souvenir toujours revivifié d’une absence perpétuelle, qui empêche de vivre ? Ou qui la protège ? Et les voici tous deux, elle et lui, évoquant les fantômes du passé, les disparus, morts trop tôt pour n’être jamais vraiment partis à temps, regrettés comme des ombres qui veillent. Juliette Léger, Elle, et Daniel San Pedro, Lui, incarnent avec beaucoup de bonheur ces deux êtres suspendus au moment présent et aux mots de leur conversation. Elle, présence fraîche et spontanée, malicieuse et fine, semble jouer au chat et à la souris avec Lui, son sourire solaire et son ardeur à raconter des histoires.
Mensonge et vérité du théâtre
Et c’est bien le charme de cette œuvre courte et faussement légère, qui se joue des lieux communs et des banalités, pour raconter la plus humaine des aventures, celle de la rencontre entre des inconnus, celle de la quête de nos disparus, et de la fugacité des moments partagés. Dans cette valse hésitante ou ce tango qui fait du sur place, les deux comédiens sont remarquables de présence et de sincérité, invitant le spectateur à la rêverie, à la déambulation onirique et au songe. Dans une évidente simplicité.
Hélène Kuttner
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